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Histoire d'un rat...

“Maman, je veux un rat ! Pour Noël, s’il te plait ! Dis oui, dis oui, dis oui ! S’il te plaît maman ! Je ne sais pas, ma chérie. Ce n’est pas bien raisonnable… Est-ce que tu saurais t’en occuper ?  Oui maman, c’est promis !  Tous les jours, hein ! Et il faudra nettoyer la cage !Oui oui, allez, s’il te plaît !  Bon… C’est d’accord. Tu veux lequel ? Le noir et blanc, là.”
Moi, petit rat. Une main me saisit, un peu brutalement, mais je ne proteste pas. J’attends ce moment depuis trop longtemps : trois mois, trois longs mois pendant lesquels j’ai vu partir mes frères, mes sœurs, mes amis de passage, et cette fois-ci, mon tour est arrivé : je vais enfin être libre.
« Joyeux Noël Mélanie.  Merci maman. Bonjour Ratatouille ! »
Bonjour Mélanie.
Je dois te l’avouer, j’ai tout de même un peu d’appréhension : après tout, je n’ai rien connu d’autre que cette vitrine trop éclairée, cette litière qui me pique les narines, et la chaleur de mes compagnons d’infortune. On m’a placé dans ce petit box, au milieu des autres, et j’ai patienté, là, tandis que les jours s’égrainaient lentement. Je suis un peu banal il paraît. Personne ne s’est intéressé à moi, jusqu’à ce que tu me choisisses. Moi. Ratatouille.
Aussi apeuré que je sois pour l’instant, je déborde d’innocence et d’amour. Si tu le veux bien, je pourrais être ton ami.
La route est longue. Au fond de cette petite boîte sombre, je suis brinquebalé, secoué au rythme de la circulation. Hurlement du klaxon. La voiture pile et je suis violemment projeté contre la paroi de carton. Je retombe sur mes pattes, me fais tout petit et subis les cahots en silence. Puis nous arrivons enfin. Une brève accalmie.
J’entends Mélanie et sa mère qui s’affairent, des cliquetis métalliques, des voix brouillées, « j’ai presque fini de préparer sa cage, donne-moi la petite maison » dit la maman de Mélanie.
Et soudain, un torrent de lumière. Je suis aveuglé. L’espace d’un instant, je me retrouve sens dessus-dessous. Je tombe sur cette litière qui m’irrite, la même que derrière la vitrine. Je panique, tourne en rond et finis par trouver une cachette dans laquelle je me terre et tâche de reprendre mes esprits.
Plus tard, prudemment, je sors et explore. Une cage dont j’ai très vite fait le tour, avec des barreaux pour laisser passer le jour. Une gamelle, une écuelle remplie d’eau. Puis un tunnel en plastique bleu translucide, un peu étroit. Une roue, trop petite…
Rien n’est vraiment à ma taille, mais qu’importe, c’est chez moi. Et, comble du bonheur, Mélanie est venue déposer une croûte de pizza dans ma gamelle. Je savoure cette pâte croustillante et parfumée, je n’avais jamais rien mangé d’aussi bon.
Il est heureux, Ratatouille.
Mélanie est gentille. Elle vient m’ouvrir la porte tous les jours. J’aime bien son odeur, ses mains sentent le savon aux amandes. Elle me laisse courir sur le tapis de sa chambre, elle me construit des cabanes en Lego et me donne beaucoup de friandises.
Elle me dessine souvent et parle de moi à ses amis.
Lorsque nous jouons, elle me fait parfois un peu mal mais je ne lui en veux pas, elle est beaucoup plus grande que moi, elle ne peut pas savoir. Alors je lui lèche les doigts. Ça la fait rire.
Il est gentil, Ratatouille.
Tous les soirs, elle s’assoit avec moi sur le tapis et me raconte sa journée, en n’omettant aucun détail. Elle a eu un A à l’école, puis elle a joué à la marelle, et elle n’aime pas Sébastien parce que c’est un garçon et que de toute façon les garçons sont un peu bêtes et ne comprennent pas grand-chose (moi non plus, mais j’écoute attentivement). Et puis demain elle ira à la piscine, et elle se moquera de Sébastien qui ne sait pas plonger, puis elle ira à sa leçon de piano, et ensuite, peut-être que sa mère lui offrira le téléphone portable qu’elle veut depuis si longtemps. Pour appeler ses copines. Et parce que Sébastien a un téléphone, lui aussi… je m’endors sous les caresses, paisiblement.
Il est mignon, Ratatouille.
Hier, je me suis évadé et j’ai grignoté des objets, par désœuvrement. Des « fils électriques », une « poupée » et des « livres ». J’ai été puni.
Les jours coulent, et je n’ai pas d’ami avec qui jouer quand Mélanie est à l’école, je m’ennuie… Derrière la vitrine, je n’étais jamais seul. Ici, je me contente d’attendre que Mélanie rentre, pour avoir un semblant de contact. Peut-être aurais-je bientôt de la compagnie ?
Ce soir Mélanie ne m’a pas regardé. Elle ne m’a pas ouvert la porte, et je ne peux plus l’ouvrir non plus. Sa maman est venue y mettre un cadenas pour m’empêcher de sortir. C’est Mélanie qui l’a dit, un ca-de-nas. En séparant les syllabes. Un cadenas pour que je ne détruise plus rien.
Il est vilain, Ratatouille.
Mélanie ne me parle plus que rarement, elle ne m’aime pas comme au début, je le sens bien… Et pourtant, je n’ai pas changé, je suis seulement un peu plus grand, j’ai cinq mois à peine. Je suis un peu triste, et las d’attendre en vain l’arrivée d’un compagnon. La vitrine me manque.
Je ne sors pas beaucoup, mes articulations sont endolories, comme si la vieillesse me frappait déjà. La litière piquante sent mauvais, Mélanie ne la nettoie plus. Sa mère a pris le relai, elle bouillonne et peste contre sa fille à chaque fois qu’elle entre dans sa chambre. Et contre moi aussi. Je n’y peux rien…
Il est sale, Ratatouille.
Et puis, la porte s’ouvre de moins en moins. Mélanie ne me parle plus, jamais. Elle appelle Sébastien, de temps en temps : « on va bientôt au ski ! Dans trois semaines, pour les vacances, tu veux venir ? »
Sa maman passe me nourrir et m’abreuver, sporadiquement. Je lui en suis reconnaissant, et je guette avidement son arrivée… elle ne me touche jamais, je suis « une sale bête ». Je l’aime quand même, je ne peux pas m’en empêcher : elle est le seul être vivant qui s’occupe encore de moi. Tous les trois jours, puis une fois par semaine, puis quand elle y pense…
Puis plus du tout.
Les jours défilent.
Les heures s’étirent.
Tout bourdonne autour de moi. Mes poumons crépitent. Ma cage est devenue prison. L’air empeste les excréments et l’urine. La puanteur qui émane de ma litière souillée me brûle.
Je suis tapi au fond de ma petite cachette poisseuse, seule parcelle de ma cellule dans laquelle je puisse encore me réfugier.
Ma respiration est sifflante, mes yeux sont encroûtés, j’ai perdu de ma superbe… Je suis maigre, sale, je ne comprends pas : hier encore, j’étais si beau…
Mélanie ne me voit plus, je ne fais plus partie de sa vie, on m’a « déplacé », sous l’escalier. Là où il n’y a plus de lumière, là où mon odeur ne gêne pas trop, là où on ne passe pas souvent. Là où on m’oublie peu à peu.
Il est moche, Ratatouille.
Et les vacances arrivent. Alors on attrape Ratatouille avec ce qu’il reste de sa cage. On enfourne l’immondice dans un grand sac poubelle, que l’on va déposer sur le trottoir gris, à la veille du départ. Toute la famille part skier. Mélanie glissera, insouciante, le long des flancs scintillants des montagnes. Elle sera heureuse.
On ne peut pas emmener Ratatouille, et, de toute façon, il est malade. On ne soigne pas les rats…
Le froid est mordant, et le claquement du sac contre les barreaux gelés se répète à l’infini. Le plastique vrombit sous les bourrasques, se gonfle d’air glacé. Une danse funèbre qui s’éternisera une nuit entière dans l’ignorance la plus absolue. Une goutte dans l’océan des abandons.
Il est mort, Ratatouille.
Joyeux Noël, qu’ils disaient...


(Auteur inconnu).
Même le plus petit d'entre les animaux n'est pas un objet.

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